Zoé Besmond de Senneville, un pont vers l'inclusion
- Gratt'os Team
- 3 févr.
- 15 min de lecture
Mon invitée du jour se nomme Zoé Besmond de Senneville. Elle est actrice, modèle, autrice d’un ouvrage formidable Journal de mes oreilles paru chez Flammarion. Elle dessine, écrit et met en musique des poèmes. Bref, je vous la fais courte: c’est une artiste complète et singulière! Durant notre conversation, il faut le dire, Zoé m’a bousculée en parlant vulnérabilité, nudité, rapport aux hommes, à la maladie, colère ravageuse, créativité débordante, audace d’entreprendre et tout cela, au milieu des rires et avec une grande dose de générosité. J'espère donc, que vous ressentirez toute la magie qui a circulé et opéré durant notre échange. Je vous souhaite une très bonne lecture…
Mathilde Jean-Alphonse: Zoé ton parcours est si atypique et riche que je ne résiste pas à la curiosité de te laisser le présenter afin de découvrir la manière dont tu te vis et te décris.

Zoé Besmond de Seneville: Oui, avec plaisir! Je m’appelle donc Zoé Besmond de Senneville. J'ai trente-cinq ans et vis à Paris. Je suis artiste et actrice, autrice, performeuse. Je multiplie les casquettes parce que j’aime profondément créer. J’ai commencé mon parcours en tant qu’actrice. Mon cheminement s’est poursuivi par l’introduction du modèle d’art dans ma palette. Ce qui m’a permis de prendre contact avec des ateliers de création. Parallèlement, j’ai démarré l’écriture. Et puis un jour, j’ai décidé de tout mélanger. J’ai aimé performer mes textes. La perte d’audition quant à elle est difficile à situer précisément… Je sais toutefois, qu’elle est arrivée il y a plusieurs années. En 2018, j’ai reçu le diagnostic de ma maladie: l’otospongiose. Ce concours de circonstances m’a amenée à l’écriture. D’abord sous la forme d’un podcast, Journal de mes oreilles, qui est ensuite sorti chez Flammarion en format papier.
Mathilde: Accepterais-tu de nous expliquer ce qu’est ta pathologie?
Zoé: Bien sûr! L’otospongiose se caractérise par un dysfonctionnement de l’os de l’oreille. A priori, c’est un tout petit os, l’étrier, faisant le lien entre l’oreille externe et l’oreille interne. Dans le cas de l’otospongiose, cet os va peu à peu se désagréger jusqu’à former de petits morceaux qui se solidifieront dans l’oreille en créant des foyers otospongieux empêchant la perception ou la transmission du son. La perception du son est annulée lorsque l’oreille interne est touchée. Si celle-ci est préservée, seule, la transmission est perturbée. Me concernant, mon mal atteint l’oreille interne. Je souffre donc d’une mauvaise perception et transmission des sons.
Mathilde: Tu fais donc ce livre, Journal de mes oreilles, que j’ai trouvé extrêmement bien écrit. Il m’a semblé presque musical. Il y a quelque chose de chantant dans ta manière d’écrire, de faire raisonner les mots, de leur donner de l’amplitude…
Zoé: Musical, oui! J’écris vraiment à l’oreille bizarrement… Au rythme. J’ai plutôt l’impression d’être un
animal qui galope et d’avoir ce rythme. D’entendre des pieds qui tapent contre le sol. Vraiment quelque chose de l’ordre de la course. Des battements proches du galop. La rythmique m’intéresse beaucoup. Les mots, la musique des mots m’intéressent beaucoup. Leur vivant, leur musicalité… J’aime bien aussi les écrire. Ils sont plus larges. Ils ont une existence. Il y a beaucoup de choses dans un mot.
Mathilde: Le galop peut convoquer une énergie parfois furieuse. Eprouves-tu de la colère?
Zoé: La colère est arrivée avant le diagnostic. Avec les douleurs aux oreilles. Le fait de ne pas

comprendre, d’être baladée de médecin en médecin… Ensuite, il a fallu supporter d’avoir un diagnostic sans rien pouvoir faire. Et puis un jour, on t’annonce que tu vas porter des appareils, mais tu n’es pas du tout préparée à cela. Qu’est-ce c’est « porter des appareils »? Peu de temps après, voilà, tu en prends possession et tu te rends compte que c’est véritablement un enfer. Au niveau sonore, c’est beaucoup trop fort. Tout à l’heure, on disait qu’il ne fallait pas bouger le micro, prêter attention aux froissements du papier car le son produit est très aigu et bien voilà, moi j’ai ça toute la journée dans les oreilles! J’ai des micros dans les oreilles. J’entends les choses de façon amplifiée. En prime, la maladie sensibilise l’organe. Or, je suis déjà quelqu’un de très sensible... Les appareils me fatiguent donc énormément. C’est agressant. La colère donc - et quand j’en parle je pense qu’on la ressent encore un peu - non, elle n’est pas partie. D’ailleurs, je ne pense pas qu’on se débarrasse d’une colère. Elle s’apaise seulement à certains moments. Publier un livre et la magie de la création de ce texte m’ont apporté cette accalmie. Pourtant, lorsque je me suis mise à l’écriture, je ne savais même pas que je le rédigeais. Avant le confinement, j’en ai retrouvé des morceaux dans mes cahiers épars avant de les oublier de nouveau. A aucun moment je n’ai imaginé composer un livre. J’étais juste dans un besoin de dire les choses, d’expliquer mon parcours. Justement de faire sortir ma colère. D’en faire quelque chose, de la transformer. Le confinement est arrivée, et là, j’ai complètement désappris l’otospongiose, ma maladie de l’oreille, parce que j’étais toute seule avec mon chat. Dans la solitude, je ne suis plus malentendante, tout va bien. C’était une période très étrange… On ne savait pas ce qui allait se passer demain. Je n’arrivais pas à me projeter vers l’avenir. Cela faisait un mois, un mois et demi que j’étais complètement seule dans mon atelier parisien. Tout était dilué… Le rapport au temps, la projection de soi, tout a bougé. A un moment donné pourtant, je me suis rappelée à la réalité: l’otospongiose n’allait pas disparaître. Il fallait que je remette un petit coup de lumière dessus. Et c’est en faisant remonter en moi ce sujet que je me suis interrogée sur ma guérison. Je faisais du yoga quatre heures par jour. J’étais dans un truc… Presque je volais! (Rires) Ça n’est plus trop le cas aujourd’hui… J’ai un peu changé de mode de vie. En tout cas, c’est à cet instant que j’ai débuté l’écriture de ce texte. Je le répète, sans aucune volonté de résultat. Il s’est simplement mis à jaillir d’un coup. J’avais un micro chez moi. Je l’ai enregistré et partagé de façon très spontanée. J’ai vu les retours des gens, quelle surprise! Rien n’était ni stratégique, ni réfléchi et je bénéficiais d’un très bel accueil de mes mots. La presse s’en est mêlée. Télérama m’a fait un article. J’avais des yeux grands comme ça et je me disais « Waouww, mais c’est incroyable! Je ne comprends pas! C’est trop bizarre, mais c’est génial! Comment j’ai fait? Mais c’est bizarre… ». C’est après cela que Flammarion est venu me chercher. Et ça, ça m’a fait un bien fou! J’arrivais à transformer les choses et ce que je faisais trouvait du sens, une puissance. Là, ma colère s’est un peu apaisée. Je dois le reconnaître, ça m’a fait énormément de bien. Notamment au niveau de ma créativité parce que j’avais l’impression que des choses s’ouvraient. De nouvelles opportunités s’offraient à moi. Depuis, j’ai continué à perdre de l’audition et la vie sociale a repris un peu plus fort. J’ai vraiment connu des moments très compliqués très récemment parce que je suis obligée de me demander comment je continue ma vie avec un tel handicap à trente-cinq ans. Donc oui, il y a encore des moments, des périodes de colère, d’incompréhension face au suivi médical, ce qu’on nous propose, aux discours des médecins. Je n’assimile pas leur logique…
Mathilde: Ce que tu évoques s’apparente à de l’errance médicale. Une expression qui a pénétré le champ lexical du grand public grâce , notamment, au combat des femmes pour une meilleure reconnaissance et prise en charge de l’endométriose. Est-ce qu’elle trouve également un écho chez toi?
Zoé: Malheureusement, c’est une situation expérimentée. Aujourd’hui, par bonheur, j’ai trouvé de très bons médecins et un excellent audioprothésiste. J’ai une O.R.L qui a lu mon livre! Mais avant elle, j’en ai croisé beaucoup en vain. Je piquais carrément des colères. Je ne les insultais pas, mais presque… Et puis, cette femme a lu mon témoignage et m’a contactée via Instagram. Lors de notre première rencontre, j’étais rassurée: elle savait à qui elle avait à faire en terme de nervosité et de personnalité. Pour autant, je ne suis pas complètement satisfaite. Il n’y a pas de réel suivi. La dernière fois que nous nous sommes vues, elle m’a annoncée que j’avais perdu vingt décibels. C’était un drame, un effondrement pour moi. J’étais en pleurs. Malgré cela, cette professionnelle de santé m’a laissée partir. C’est tout à fait anormal! Il faut pouvoir donner des ressources aux patients. Ce n’est pas possible d’abandonner ainsi les gens… J’ai tenté de trouver d’autres manières de me conforter. Je me suis usée à réaliser un tour des médecines alternatives. J’ai aussi dépensé beaucoup d’argent. La création reste ma ressource première. C’est la plus satisfaisante. Depuis peu, j’y couple le suivi d’un programme d’entreprenariat. J’aimerais beaucoup créer un parcours qui servirait à l’accompagnement des personnes adultes qui, comme moi, sont confrontées à des situations de traumas physiques qui bousculent leurs repères.
Mathilde: Le coût des médecines alternatives peut être prohibitif pour nombre de personnes. Avec le recul dont tu disposes désormais, quel regard portes-tu sur cet investissement?

Zoé: J’ai l’impression aujourd’hui, que c’est parce que j’ai été voir des thérapeutes - et au début je n’avais pas un rond, je faisais du baby-baby-sitting pour me les payer- que j’ai pu décoller et m’accorder de plus en plus de temps créatif. Ça fait de la place à l’intérieur.
Mathilde: Ton compte instagram @zoebesmonddesenneville que j’ai parcouru de long en large et en travers avec beaucoup d’intérêt dévoile un post d’une interview accordée à Liberty Mag. Je te cite « Je trouve que femme et handicap ne vont pas ensemble. » Pourquoi?
Zoé: Quand j’ai été diagnostiquée, on m’a immédiatement dit que je pouvais effectuer les démarches pour une reconnaissance de handicap à la Maison départementale des handicapés (MDPH). Je me suis exécutée. Je m’apercevais bien que j’avais un handicap, qu’il y avait quelque chose qui était empêché dans le lien social, l’accès aux informations, par tout ce qui s’échange grâce à l’oralité. Faire cette demande, et sans doute aussi parce que chez moi les mots ont vraiment de la valeur, m’a vraiment coutée. Monter ce dossier a eu un véritable impact sur mon image. Or, je travaille beaucoup à partir et avec mon image en tant qu’actrice. C’est quelque chose qui est très ancré en tant que modèle également. J’ai le sentiment que ce mot « handicap », il me faut le justifier. Donc oui, cela a une vraie incidence sur la manière dont je me perçois, notamment en tant que femme. Comment la femme se construit aujourd’hui? La représentation de la femme un peu lambda, enfin celle qu’on nous balance depuis des dizaines d’années, commence à bouger. Cependant, les représentations de la féminité qui se sont inscrites en moi à l’adolescence ne sont pas si facilement effaçables. J’ai toujours une idéalisation de la femme dans ma tête qui ne correspond pas du tout à la notion de handicap. Une femme, elle doit être performante. Elle doit être belle. Elle doit avoir des relations sociales fluides. Elle doit pouvoir séduire, être en même temps puissante, mais ne pas prendre trop de place. Ça devient compliqué… Et moi, j’ai des appareils auditifs dans les oreilles! (rires) Je ne parviens même plus à draguer. Mon rapport à l’intimité, au regard de l’homme, c’est vraiment altéré. L’impact sur mon image, sur ma vie sexuelle a été très important. Ça va très très loin. On entend dire, que lorsque le mal est invisible ça n’est pas grave. Ce truc de l’invisibilité c’est complètement faux! C’est quelque en soi qu’on oublie jamais. C’est clairement un phénomène de société patriarcale. J’ai distinctement entendu de la bouche d’hommes: « Ne t’en fais pas, ça ne se voit pas! » Mais moi, je ressens tout le temps que je suis complètement décalée et à l’ouest et trop mal. Mes appareils, je ne les oublie jamais. Au bout de deux heures, j’ai mal à la tête. Donc que cela ne se voit pas, ça n’est clairement pas l’enjeu. D’ailleurs, je préférerais presque que ça se voit! J’ai pris des appareils colorés. Tout ça, ça crée des chocs. La bonne nouvelle, c’est que je travaille beaucoup avec le choc dans l’écriture. Du coup, c’est une superbe matière.
Mathilde: Eloignée de ces standards d’appréciation de la femme, comment te définis-tu?
Zoé: Je suis en train de prendre des repères. Et ce qui m’en donne, c’est de prendre la parole, de poser mon identité, de m’engager à assumer celle que je suis et de partager cette singularité. Dans mon identité, il y a ce que je perçois à l’intérieur de moi: la façon dont je conçois les choses, la vulnérabilité, la douleur, là où ça m’emmène. Ce qui est compliqué dans cette histoire, c’est que cette identité a été mouvante à l’âge adulte. J’ai perdu bon nombre de mes repères. La perte auditive perturbe le rapport à l’espace et aux gens. Parfois, j’ai l’impression d’être dans un film où les gens passent très très vite devant moi. Il y a vraiment quelque chose sur les sens. Je n’arriverais pas tout à fait à le définir, mais c’est comme si des curseurs se déplaçaient. Ma perte auditive progressive force à une adaptation constante puisqu’il n’y a rien de stable. Ça ne cesse de bouger. Pour le corps et pour le cerveau, c’est épuisant, c’est vrai. Aujourd’hui, je commence beaucoup à exister par ma voix et c’est très reposant. Je crois beaucoup à cette histoire de raconter sa singularité. Je pense que si tout le monde se met à faire ça, on aura l’opportunité de vivre dans un monde beaucoup plus juste. On sera enfin à l’écoute les uns des autres, et il n’y aura plus besoin justement de tous ces modèles, tous ces stéréotypes, toutes ces normes. Le rapport à la performance en sera bousculé. Quant à mon rapport à la féminité, j’ai beaucoup posé nue pendant dix ans. C’est donc un corps que j’ai largement exposé. Il y a de nombreuses ambivalences avec cette forme de nudité. C’est tout à la fois, un corps qui dégage une grande puissance - la peau pour moi c’est un truc ultra puissant - mais depuis que je suis petite, on me dit qu’une femme est vulnérable. C’est en posant que je me suis rendue compte que je me sentais extrêmement puissante. A cet endroit du modèle vivant! Parce que si je me balade dans la rue à poils, évidemment je vais être en danger. Il y a donc une construction avec cette puissance, avec la lumière de la peau, J’écris actuellement un livre sur ce sujet. Dans ce qui est passé sous silence concernant cet univers, c’est la gestion du regard de l’autre. Le poids aussi dont il revient au modèle de se charger. Au milieu de tout ça, mon identité est fragmentée. Il y a des pleins et des déliés…
Mathilde: Est-ce que cette libre définition et expression de celle que tu es et de ton monde artistique est bien accueillie?
Zoé: Dans l’univers du modèle vivant, c’est aux autres de dire s’ils aiment ou non. S’ils n’aiment pas,

tant pis! Je me donne déjà nue, c’est beaucoup! Pour le reste, s’ils n’apprécient pas, une chose à dire: merde! C’est un peu ma philosophie. Etonnamment, le fait d’avoir une perte auditive m’a beaucoup protégée. Tout simplement parce qu’il y a plein de choses que je n’entends pas. Et si je ne veux pas les entendre, j’ai un petit truc en plus. Le handicap sert aussi de bouclier, c’est vrai. Les gens n’attaqueront pas. Je l’ai vraiment ressenti à la sortie de Journal de mes oreilles. Je n’étais pas pleinement satisfaite de sa forme. C’est un récit très vivant, très beau, mais je l’ai écrit très rapidement. Et pour moi qui côtoie des poètes, des romanciers, des personnalités du milieu littéraire, je n’étais pas enchantée par sa densité. Il ne me semblait pas achevé. Pourtant, personne ne m’a blâmée. Mais vraiment personne! Je pense que le public s’est dit que je vivais déjà quelque chose d’horrible. Il n’était pas utile d’en rajouter une couche. Il y a donc des aspects positifs. Y compris, le côté vendeur de la surdité. En ce moment, je suis en résidence. J’ai organisé une rencontre avec Adèle Rosenfeld qui est également malentendante et autrice d’un très beau roman, très délicat paru chez Grasset Les méduses n’ont pas d’oreilles. Toutes les deux portées par ce sujet, nous avons vu venir à nous les maisons d’édition. On le sait, on se l’est dit: ce sujet nous a ouvert les portes du milieu littéraire et de l’édition. Toutes les deux, on se regardait donc avec nos difficultés, nos colères, nos galères, nos larmes, nos ras-le-bol et d’un coup, on a pris conscience que c’était précisément ce bagage qui nous avait amené là où nous en étions. Il y a un créneau à prendre car très peu d’artistes s’engagent et prennent la parole sur ce sujet. Ça demande énormément de courage de le faire. Exposer ainsi mon histoire, mes émotions suscite forcément une friction, un choc. Par exemple, un mois avant la parution de mon livre, j’ai été signer les exemplaires de presse. Le lendemain, j’étais couverte d’eczéma! C’était une réaction de mon corps pour me rappeler ma peur. Il existe bien des interdits à l’intérieur de soi. Ça me faisait très peur de les braver et je suis toujours effrayée de dire, de nommer.
Mathilde: Tu écris: « Je n’ai pas un rapport aisé à mon image. Je peux avoir honte, honte de moi facilement. » Ça signifie que tu n’as pas conscience de ton rayonnement?
Zoé: Là encore, des périodes très différentes peuvent se côtoyer. L’annonce de la dégradation de mon audition a été très rude psychologiquement. L’image que j’entretenais de ma personne n’était pas bonne. En revanche, pendant la promotion de Journal de mes oreilles, j’avais conscience d’être très solaire. J’ai le sentiment que les choses se jouent aussi dans le regard d’autrui. Il ne faut pas croire pour autant, que l’exposition règle mes problèmes d’image. C’est politique tout ça en réalité. Parler de ses émotions, ne pas toujours arborer la posture de la réussite, mais oser dire ses échecs… C’est au coeur de cette vérité que surgit la véritable puissance. Elle ne pointe son nez que lorsque la vulnérabilité lui a dégagé l’espace pour qu’elle s’épanouisse. La seconde rappelle à la première: « Tu ne peux pas accéder à la marche suivante, si tu ne passes pas par moi. » J’en ai eu la confirmation il y a peu. Je me disais que le métier d’actrice était terminé pour moi. Mais avant de définitivement renoncer, je me suis donnée une autre chance. Je me suis à nouveau confrontée à des directeurs de castings. Etape indispensable dans le métier d’acteur ou actrice pour avoir du boulot. J’ai commencé cette session d’une dizaine de séances, mais j’entendais très mal. Il me fallait une attention accrue pour avoir les lèvres de la personne face à moi. Or, jouer une scène ce n’est pas forcément cela. Je définissais déjà quelque chose du personnage en lui apportant une qualité qui ne faisait pas nécessairement partie de l’écriture au départ. J’ai donc été contrainte de verbaliser: dire à quel point j’étais empêchée. A quel point, je me sentais vulnérable. Ça a été vertigineux. Actrice est le premier métier que j’ai désiré exercer. A cet instant, force a été de constater qu’il y avait quelque chose de l’ordre de « la femme d’avant, la femme d’après ». Mais il faut avancer. Traverser la peur. Et m’y coller m’a apporté tellement de puissance…
Mathilde: Il y a les chocs subis et ceux que l’on se plait à provoquer… Est-ce que c’est ton cas?
Zoé: C’est une bonne question… Peut-être… Ou peut-être pas… (Rires) Dans le choc, il y a un vrai truc à raconter. Le choc c’est tellement riche! Il y a l’avant et l’après. Le chaud et le froid qui se collent. La libération aussi… Beaucoup de sensations. Le choc correspond bien à mon écriture, mais je ne m’enferme pas dedans. Mon travail de dessin par exemple est plus léger, plus dans le plaisir, moins dans la friction.
Mathilde: Chaude puis froide, c’est le nom d’un des poèmes que tu as mis en musique. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce projet musical?

Zoé: Pour la mise musique, c’est un artiste nommé Ernest de Jouy qui a opéré. Encore un projet qui s’est réalisé vitesse grand V. On m’appelle pour me proposer de participer à un récital poétique féministe lors du festival Empow’her. Ça me semblait hyper cliché, voire méga casse-gueule… J’y suis tout de même allée! Avant cela, j’ai mis un message sur Facebook pour dénicher un musicien et là, j’ai eu plein de réponses. J’ai pris le temps d’écouter les différentes démonstrations. C’est comme ça que je suis tombée sur le travail d’Ernest. J’ai eu un vrai coup de coeur pour son univers musical et artistique. Le reste s’est enchaîné aisément. On a échangé très rapidement pour parler de cette performance, étudier le format et à l’été, on se produisait pour la première fois. Deux autres scènes à l’automne puis, Ernest me soumet l’idée d’un album. C’était complètement abstrait pour moi, mais je me suis lancée. Après l’enregistrement, je me suis glissée dans la peau de l’attachée de presse. Mon frère, journaliste, est venu à ma rescousse. Il m’a expliqué comment contacter des rédactions et me voilà à envoyer des e-mails à des journalistes. Cet album, Sourdre, ce sont des poésies, des textes que j’ai écrit depuis cinq ou six ans, qu’on a travaillé d’une traite. Il faut donc s’abstenir de l’écouter en mode aléatoire sinon ça fait un peu bizarre. Il parle de mes sujets de prédilection: la surdité, la nudité, ce que c’est d’être une femme, la peau, le choc, la séduction, l’amour…
Mathilde: Sourdre est composé d’au moins six titres qui font explicitement références aux femmes. La sonorité est-elle importante pour toi?
Zoé: Oui! On nous a appris à être rivales. Ce qui n’a pas complètement disparu de l’espace public… Il y a une ignorance, une négation à ce propos. On ne nomme pas cette rivalité. On ne dit pas qu’elle est encore bien présente. C’est une trame inculquée avec celle de la performance. Les réseaux sociaux exacerbent ce sentiment. On est toujours en train de se comparer les unes aux autres. Il est maintenant nécessaire pour les femmes de s’engager en conscience dans un processus de sonorité. De mon côté, je prends part à un collectif de poétesses et essaye de respirer avec ces aspects-là. Il y a des enjeux dans la sonorité. On a tout intérêt à se fédérer, à construire des choses entre femmes, à échanger
Mathilde: Que peut-on faire pour rendre plus faciles les choses, répondre de façon plus adaptée aux situations de handicap?
Zoé: A nouveau, c’est une très bonne question! Prêter attention à chaque singularité. Prendre le temps. Notre système va bien trop vite. Au niveau culturel également il y a une carte à jouer. La culture a un rôle fondamental dans l’ouverture des consciences. De mon parcours dans ce milieu, je retiens qu’être malentendante c’est en être éjectée. Dans le monde du spectacle, je n’ai pas de place. Le sujet n’existe pas. C’est un mensonge! Il existe des solutions! Il est possible de placer des micros. Récemment, je me suis rendue dans un lieu dont la direction avait pensé à installer des amplificateurs. Ils étaient juste là, posés au milieu de la table. Quelle aide pour moi! Si ces milieux accordent leurs places à des personnes qui ne sont pas normées, qui ont des handicaps, alors on ouvre un boulevard pour la sensibilisation. L’art dispose de ce pouvoir! Le travail artistique, le théâtre, le cinéma peuvent changer la donne en conduisant un public à être réceptif à quelque chose qu’il ne connait pas.
Comments