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BD- Suzette ou le grand amour de Fabien Toulmé

Veuve depuis peu, Suzette repense à Francesco, son premier amour, perdu de vue il y a 60 ans. Sa petite-fille Noémie l'invite alors à partir à sa recherche. Sur la route de l'Italie, les deux femmes vont, du haut de leurs générations et de leurs expériences respectives, échanger sur la vie de couple, l'engagement et les histoires qui durent... Et s'il n'y avait pas d'âge pour vivre le grand amour?


Avis: Difficile d'être objective tant je me régale des différents albums de Fabien Toulmé depuis des années. Il me semble toutefois, que la poésie de Suzette ou le grand amour ne peut laisser personne indifférent... Les grandes questions qui traversent ce roman graphique, pourraient être résumées par une unique: suis-je au bon endroit avec la bonne personne? De cette vertigineuse interrogation en découlent tant d'autres... Cette relation, ce quotidien était-ce à quoi j'aspirais? Pourquoi l'ai-je choisi lui/elle? L'amour dure t-il toujours? La concession, le compromis est-ce l'oubli de soi, de sa nature, de ses envies? Comment vivre "libre" en étant en couple? Saurai-je pardonner, poursuivre mes efforts malgré les désillusions, et parfois même, les trahisons? Cet.te autre vit toujours dans mon coeur, qu'en faire? Quel couple sommes-nous? Quelle sexualité vivons-nous? Me satisfait-elle? Le duo amoureux est, sans aucun doute, le plus complexe, douloureux et enrichissant lien à éprouver grâce à la promiscuité qu'il offre à deux êtres qui s'aiment mais qui sont, pourtant, si différents. La promenade de Suzette et de sa petite fille, odyssée féministe sur fond de droits des femmes, offre l'opportunité de se questionner, de tâtonner, même à l'aveugle, sur nos choix de femmes et de couple. A découvrir et lire d'urgence!


La micro interview!


Mathilde Jean-Alphonse: Votre scénario se développe grâce une approche générationnelle du féminisme. Grand-mère et petite fille échangent, s'écoutent, s'éclairent. Selon vous, qu'est-ce que les féministes d'hier peuvent apporter à celles d'aujourd'hui, et inversement?


Fabien Toulmé: Dans l'histoire, dans ma bande dessinée, ce qui se produit c'est peut-être également ce qui peut se produire dans la vie. Ce qui va différer pour les féministes d'hier, c'est le vécu qu'elles ont, l'expérience qu'elles ont. Expériences positives et négatives. J'imagine que les féministes d'aujourd'hui ont une espèce de connaissance que les féministes d'hier n'ont pas. Une espèce de fougue. Il y a toute une série d'évènements qui sont arrivés, notamment Me Too, qui a tout de même éclairé toute une série de comportements. Pour moi ce sont des échanges d'expériences. Ce que je dis, j'en ai conscience, est assez vague, mais c'est l'impression que j'ai de partages d'expériences.


MJA: Pour reprendre vos mots, si la relation sexuelle est très patriarcale, comment peut-on rendre la sexualité plus égalitaire?


FB: J'ai l'impression que ça passe quand même par l'éducation. Et principalement, l'éducation des hommes. Je ne sais pas si au niveau de l'éducation nationale il y a beaucoup d'espace ou de volonté pour ce genre d'éducation, mais si ça n'est pas le cas, il reste quand même tout ce qui va être littérature, podcast. Je vois des comptes Instagram qui communiquent beaucoup sur ce rapport au corps, à la sexualité positive. Il faut vraiment qu'il y ait une grande déconstruction de ce qu'est le rapport sexuel et encore une fois, c'est principalement du côté des hommes que ça doit se situer. Ce qui n'annule pas l'éducation à faire pour les femmes et jeunes filles. Je pense que ça passe par ça, l'apprentissage du dialogue, l'apprentissage de la communication.


MJA: Le couple est grandement questionné au fil des pages. Duo amoureux et liberté est-ce compatible?


FB: Je crois oui. Je crois aussi que chaque duo amoureux est le résultat de la mise en commun de

deux cultures, de deux rapports à tout un tas de choses et notamment la définition de l'amour et du couple. Finalement, c'est un peu comme si chaque couple avait sa propre grammaire. Donc la question de ce rapport à la liberté, c'est propre à chacun. On pense liberté de relations, en tout cas c'est à ça que je pense, liberté de relations avec d'autres. Je pense que ça, vraiment, c'est une question de grammaire de couple. Chacun doit s'y faire. Pour moi, la question de la liberté d'un point de vue beaucoup plus absolu, c'est-à-dire ce qu'on s'autorise dans le couple, elle doit être au coeur de la construction du couple. A partir du moment où on se prive d'être qui l'on est pour faire fonctionner un couple, c'est déjà un petit peu le début de quelque chose qui va avoir du mal à avancer. Et après, quand je me dis ça, je me dis aussi qu'il y a une question de dosage dans cette liberté. On ne peut pas non plus faire comme si on était seul.e sinon on ne serait pas en couple. Tout est question de dosage, d'accorder nos violons. Dès le début, et j'en reviens un peu à la réponse à la deuxième question, je pense que l'éducation et la communication sont des choses importantes dans la construction de cette grammaire commune du couple. D'ailleurs, je pense que c'est plus facile de communiquer sur ces sujets au début d'un couple, plutôt qu'une fois que le couple s'est mis à fonctionner avec certaines règles. Revenir en arrière c'est un petit plus compliqué... En tout cas, ça demande plus de travail et encore plus d'échanges. Mais si dès le début on arrive à communiquer suffisamment bien et honnêtement sur ce qu'on attend d'un couple, sur ce qu'on attend de cette relation, je ne vois pas d'incompatibilité. Que ça soit en matière de liberté absolue ou de liberté quant aux relations extérieures. Je pense que nous avons été cadrés dans une construction sociale, peut-être empreinte de religion, qui fait que nous sommes partis dans ce genre de relations, mais ça serait intéressant d'interroger d'autres cultures, d'autres façons de fonctionner pour voir comment se construit le couple par rapport à ces notions de liberté.


MJA: L'homme qui réalise Suzette peut-il être dit féministe?


FB: Je sais, pour l'avoir déjà entendu, qu'il y a un questionnement sur le point de savoir si un homme peut être dit féministe. Ça, je n'ai pas trop de réponses. Ma première réflexion, c'est que je pense que, moi comme tous les hommes, et comme tout le monde, nous sommes socialisés à notre genre. Sortir ou modifier ces socialisations c'est possible, mais ça demande une conscience de nos actes. A partir du moment où je reproduis de façon plus ou moins consciente certains comportements liés à mon genre, est-ce que ça fait de moi quelqu'un de féministe, je ne sais pas trop. La deuxième réflexion que ça m'inspire, c'est que j'ai conscience de mes privilèges. J'ai conscience du fait d'être un homme. J'ai conscience du fait d'être européen blanc. J'ai conscience du fait d'être hétéro. Et je pense que la conscience de ces privilèges et le fait que j'essaie de lutter pour ne pas écraser, même involontairement, les autres, ceux qui n'auraient pas ces privilèges, ça fait de moi quelqu'un qui a une conscience de tout cela. Pour résumer: féministe je ne sais pas, mais j'oeuvre pour tenter de rétablir l'égalité dans tous les domaines de la vie et notamment, évidemment, sur la question du sexe et du genre.


Merci Fabien Toulmé!


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