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La spoliation des Juifs de France, Rose Valland une femme à l'oeuvre 2/3

A l’aube de la quatre-vingtième année post capitulation de l’Allemagne nazie, l’antisémitisme le plus décomplexé s’invite de nouveau sur le territoire français. L’heure est à la tragédie, à la désolation et aux conflits d’une horreur sans nom qui déciment, par milliers, les familles du Moyen-Orient. En réponse à cette débauche de sang et de souffrance, dans ce beau pays qu’est la France et au sein duquel la mixité est emblème, assujettissons-nous à l’union, à la pacification et à la transmission aux générations futures d’une haute idée de ce qu’est l’Homme. Ou plus vraisemblablement de ce qu’Il pourrait être. Et puisque tout porte à croire que la polarisation de nos boussoles intérieures est affectée, ne nous fions pas à leurs aiguilles mais à la Mémoire. Main dans la main, et même si cela ne doit être que du bout des doigts au commencement, engageons-nous sur les chemins de l’Histoire. Progressons avec délicatesse sur ses voies jusqu’à rejoindre la résistante Rose Valland en son logis, le Jeu de Paume.

Pour découvrir la première partie de ce triptyque consacré à Rose Valland cliquez: ici.


Le programme nazi a abrité en son sein, laideur et beauté, extermination et avènement,

ignorance crasse et rayonnement culturel, Goering et Valland. L’un pille, l’autre protège. L’homme est un collectionneur vorace, la femme une conservatrice passionnée. Tout les oppose, mais leurs destins sont inexorablement liés. A l’automne 1940, leurs routes ne se sont pas encore croisées mais déjà, Hitler prépare leur rencontre. Le Führer donne l’ordre à certains de ces hauts dignitaires de concentrer leurs efforts sur la spoliation méthodique des galeries et collections privées appartenant, pour la plupart, à des familles ou marchands d’art Juifs français. Ainsi, dès le mois de novembre de cette même année les chefs-d’oeuvre confisqués, d’une valeur inestimable, sont acheminés jusqu’aux Tuileries (Paris), au musée du Jeu de Paume. L’année précédente, Rose Valland en sa qualité de collaboratrice scientifique du directeur des musées y avait pourtant opéré des mesures préventives. Sous la houlette de Jacques Jaujard, sous-directeur des musées nationaux et lorsque sonne l’heure de la mobilisation générale, elle intervient. L’homme fait appel à ses services priant cette femme à l’allure austère de prendre les précautions nécessaires pour la mise à l’abri des collections. En 1939, tous pressentent le danger que représente l’arrivée des Allemands sur le sol français. Par prudence, ils choisissent donc d’acheminer les précieux trésors artistiques présentés au jeu de Paume vers un lieu plus retiré, le château de Chambord. Malheureusement, peu de temps après, c’est par brouettes entières qu’entrent au Jeu de Paume les merveilles rançonnées aux Juifs français . Leurs biens les plus précieux et prestigieux contre leur vie. Si Rose ne peut sauver ces victimes de la folie meurtrière du Reich, elle se fait loi de préserver ce qui témoigne d’une passion, d’un goût ou de la constitution d’un patrimoine depuis plusieurs générations. La conservatrice va ainsi mettre toute sa détermination à flécher le chemin de ces oeuvres spoliées. Certes, il lui est impossible, butin sous le bras, de fuir ces lieux. Toutefois, rien ne l’empêche de consigner avec minutie les dépôts (entrées et sorties) des rapts nazis. Discrète mais redoutablement efficace, Rose dresse l’inventaire qui servira au moment de la libération à remonter les pistes des pièces maîtresses de l’art européen emportées en Allemagne ou en Autriche. Pour ce faire, la mordue d’art écoute aux portes, récupère dans les poubelles les papiers carbone des calepins sur lesquels sont inscrits les noms des oeuvres et la destination de chacune, laisse trainer ses regards parmi les piles de documents jetés pêle-mêle sur les bureaux bref, elle se rend invisible pour mieux porter au jour les informations collectées. En mars 1942, elle établit ainsi un rapport permettant d’appréhender la ligne esthétique qui guide la rapacité Hitlérienne. L’homme à la célèbre moustache est féru de classicisme. Un courant qui, selon le dictateur, s’accommode parfaitement à la grandeur et à la rigueur du Reich. Les oeuvres dont elle dresse la liste sont celles rejetés par le nazisme mais sur lesquelles Goering fera tout de même main basse. Elles appartiennent à l’art moderne, parmi elles: des Braque, Chagall, Paul Klee, Matisse, Picasso, Marie Laurencin ou encore Renoir. 1942, année où la France connait l’horreur et la honte de la Rafle du Vel’d’Hiv. Une arrestation massive de Juifs détenus au Vélodrome d’Hiver sans eau ni nourriture et dans des conditions d’hygiène déplorables. Treize milles personnes, dont une large majorité de femmes et d’enfants, qui bien qu’ayant déjà cédé biens et dignité se voient contraints de renoncer à ce qu’ils chérissent le plus, l’amour des leurs et leur propre vie. 


L’art a t-il encore la moindre importance lorsqu’autour on assassine et collabore? Oui, parce que non seulement il dit que c’étaient ces familles qu’une haine impeccable et qu’un aveuglement déshonorant ont déshumanisé aux yeux des peuples mais aussi, parce qu’il rappelle tout ce que l’Homme porte en lui de grandeur. Cette avec cette même conscience des faits que Rose Valland assiste atterrée un an plus tard à un autodafé d’environ cinq à six cents oeuvres d’art moderne par l’Einsatzsab Reichsleiter Rosenberg (ERR). Frappée en plein coeur par la tragédie qui se joue, tant dans son microcosme qu’à l’échelle nationale, la résistante se refuse pourtant à abandonner le combat. Abattue mais résiliante, elle poursuivit ses indiscrétions. Sa témérité lui permet de signaler le 1er août 1944 l’existence de cinq wagons du train 40 044 chargés de cent-quarante-huit caisses de chefs-d’oeuvre d’art moderne en provenance du Jeu de Paume. Un butin destiné à enrichir la collection personnelle de Goering. La résistance des chemins de fer se met dès lors en branle pour les intercepter. Douze jours plus tard, Rose écrira: « C’est la fin des opérations du service Rosenberg ». Un soulagement pour celle qui a vu l’ERR et ses marionnettes fouler aux pieds et détruire culture et personnes. Néanmoins, elle n’est pas sans ignorer qu’il lui reste encore beaucoup à faire. Le 25 aout, loin de prendre le repos dont elle aurait besoin, la conservatrice s’évertue à contacter les services des Beaux-Arts mis en place par les alliés afin de leur transmettre les localisations des dépôts allemands. Vingt-six jours s’écoulent entre son signalement du « train-musée » et l’intervention de la division blindée commandée par le général Leclerc. C’est un succès! Les cent-quarante-huit caisses volées rejoignent leur maison, le Jeu de Paume. 


Dès le mois de novembre 1944, Rose Valland assume le secrétariat de la Commission de récupération artistique. Cet organisme, créé par le ministère de l’Education nationale a pour mission de traiter et d’organiser la restitution des oeuvres d’art et livres précieux spoliés par le régime nazi durant l’Occupation. Sa connaissance du système de spoliation nazie leur est indispensable. Féministe avant l’heure, Rose Valland se joint aux forces des Monuments Men pour se rendre au château de Neuschwanstein où sont stockés vingt-et-un-mille-neuf-cent-trois objets d'art dont cinq-mille-deux-cent-un tableaux. Cette collaboration avec l’armée se poursuivra en France avec cette fois, un ordre de mission lui intimant de se rendre pour une durée illimitée auprès de l’Etat-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny. Celle qui jusque-là a fait sa niche dans les musées intègre le corps des officiers comme lieutenant avant d’être rapidement promue capitaine.


A partir du 11 mai 1945, Rose Valland consacre ses activités à la recherche et récupération des biens artistiques volés. Une quête qui durera dix ans et la conduira en Allemagne, en zone soviétique, aux Etats-Unis ou encore à Londres. Au cours de cette période qui s’étire jusqu’en 1954, la femme énergique sera peu présente aux côtés de sa compagne, mais participera au rapatriement de plus soixante-mille biens culturels soustraits à des institutions publiques françaises. Si les récompenses pleuvent ( chef de section des Beaux-Arts à la division des Affaires culturelles françaises à Berlin (1946), chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur (1946), médaille de la Résistance française (1946), Medal of Freedom (1948), conservatrice des musées nationaux (1952), insignes d’officier dans l’ordre des Arts et des Lettres (1960) ) le rôle crucial joué par Rose demeure dans l’ombre. Elle décide donc en 1964 de révéler sa pleine implication dans les opérations de restitution des oeuvres d’art dans un ouvrage Le Front de l’art, Défense des collections françaises, 1939-1945. Il faudra encore cinq ans pour qu’elle soit promue officier de la Légion d’honneur et huit pour recevoir la croix d’officier de l’ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne pour services rendus au monde des arts. Lorsque Rose Valland décède en 1980, le monde méconnait encore grandement son nom et son engagement. Si aujourd’hui les deux trouvent doucement leur place dans l’Histoire de la France et de la Seconde guerre mondiale, il reste encore un long chemin à parcourir pour que son action inspire à la même force que celle de Jean Moulin.




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