Scandale sanitaire Spasfon, résumé du livre Pilules rose de Juliette Ferry-Danini
- Gratt'os Team
- 28 févr. 2024
- 4 min de lecture
RÉSUMÉ
Vous en avez probablement au fond de votre trousse à pharmacie. Le Spasfon est l’un des médicaments les plus prescrits et vendus en France, en majorité aux femmes. Une pilule rose familière lorsque l’on souffre de règles douloureuses. Et pourtant, aucun essai clinique ne soutient son efficacité pour cette indication.
Juliette Ferry-Danini retourne aux origines du médicament, dans les années 1960. L’histoire du Spasfon n’est pas toute rose : des malades empoisonnés à dessein, des données scientifiques défaillantes et le sexisme ont marqué son développement, construisant une situation d’ignorance scientifique qui perdure aujourd’hui.
Dans cet essai de philosophie féministe, l’autrice analyse les conséquences de cette ignorance en médecine et propose des outils essentiels pour redonner du pouvoir et de l’autonomie aux patientes et patients.
LA BRÈVE
Posons les bases!!
En 2021, 72% des 25,3 millions de boîtes de phloroglucinol (substance active du Spasfon) ont été prescrites à des femmes et même 75% pour la tranche 19-59 ans ans.
Quatre groupes d'indications pour lesquelles le Spasfon (phloroglucinol) est commercialisé en France:
Contractions au cours de la grossesse en association au repos.
Manifestations spasmodiques douloureuses en gynécologie.
Douleurs liées au tube digestif et voies biliaires.
Manifestations spasmodiques et douloureuses des voies urinaires.
Deux revues systématiques
Le phloroglucinol, médicament parmi les plus vendus et prescrits en France n'a fait l'objet que de deux revues systématiques incluant cinq essais contrôles randomisés publiés sur la molécule et son rôle analgésique (antidouleur) entre les années 1960 (lancement du produit) et 2020.
Beaucoup de flou...
Deux de ces essais contrôlés randomisés (Blanchard et al.) portent sur l'efficacité antalgique du phloroglucinol dans les douleurs obstétriques et gynécologiques mais pas, sur les douleurs menstruelles. L'un s'intéresse au traitement de la douleur lors de l'hystérectomie (ablation chirurgicale de l'utérus), mais le texte original, en chinois, n'a jamais été traduit et les auteurs n'ont pas donné suite aux sollicitations pour détailler leur étude.
La seconde étude porte sur un autre cas très particulier: l'utilisation du phloroglucinol comme analgésique prophylactique avant l'avortement chirurgical. Ici, les chercheurs n'ont pas su démontrer l'efficacité de la molécule dans cette configuration. In fine, Blanchard et ses collègues notent qu'ils n'ont pas pu identifier d'essais pour évaluer le phloroglucinol dans les indications dans lesquelles il est le plus prescrit: médecine générale, douleurs spasmodiques pelviennes bénignes et douleurs bénignes pendant la grossesse.
Un insondable paradoxe...
Il est donc surprenant dans un tel contexte, que les autorités françaises aient systématiquement reconduit l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du Spasfon. Un générique ayant même obtenu une nouvelle AMM en 2007. De nouvelles données n'ont pas été nécessaires pour cette AMM, le laboratoire n'ayant eu qu'à prouver l'équivalence avec le Spasfon. Pourtant en 2008, la Haute Autorité de Santé (HAS) a de façon progressive, diminue le taux de remboursement du Spasfon sous toutes ses formes, et a jugé de plus en plus sévèrement l'insuffisante de données probantes au sujet du Spasfon.
En conclusion
Le succès du Spasfon repose vraisemblablement plus sur l'imaginaire du spasme, les habitudes des médecines et l'apathie des autorités sanitaires que sur des données scientifiques solides. Le Spasfon, un placebo alors? Un placebo impur même? La situation la plus préjudiciable est lorsqu'une personne qui s'est vue prescrire un "placebo" n'accède pas à un autre médicament -on parle de perte de chance.
L'accumulation de ces pertes de chance aboutit à un préjudice grave au niveau du bien-être global de la population et dans le cas présent, de la population féminine.
Commentaire
Un pur scandale sanitaire: chaque année des millions de femmes se soignent avec un médicament dont l'efficacité pour les indications gynécologiques et obstétriques n'a JAMAIS été prouvée.
C'est une honte pour notre pays de préférer le protectionnisme de son industrie pharmaceutique à la santé de millions de françaises. Faites le savoir autour de vous.
Jusqu'au bout, et bien que les institutions de santé et différents corps médicaux du pays aient pleinement conscience de cette absence de preuves scientifiques, ils continuent avec allégresse de fournir à 72% de femmes, un médicament qui, sur le long cours, pourrait même avoir des effets délétères sur leur état de bien-être général.
Et osera t-on encore nous parler de déficit et endettement des dépenses publiques?
En 2023, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (cades), organisme public en charge de délester la Sécurité sociale de ses dettes, a remboursé 18,3 milliards d'euros. Toutefois, pour parvenir à un "apurement total", il faudra à la structure verser encore 145,1 milliards.
En décembre dernier, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoyait en outre, des dépenses en hausse de 3,2% en 2024 par rapport à 2023, à 254, 9 milliards d'euros. Le déficit de la "sécu" était fixé à 8,8 milliards d'euros en 2023, puis 10,7 milliards en 2024, et selon les dernières prévisions du gouvernement, pourrait atteindre 17,5 milliards d'ici à 2027.
Pendant que le gouvernement prétend faire la chasse aux mauvais patients -mais si, ceux qui prennent des arrêts injustifiés - ou court après les augmentations des franchises médicales, il ne met pas le nez dans les dossiers de médicaments qui profitent d'un remboursement (le Spasfon à hauteur de 15%) sans avoir JAMAIS fait la preuve de leur efficacité.
Pourtant, en 2021, ce ne sont pas moins de 10 millions d'euros que l'assurance maladie a consacré au remboursement du phloroglucinol.
Un fléchage plus judicieux de l'argent public serait tout à la fois souhaitable et nécessaire. Mais pour cela, l'Etat se doit de décider de faire de l'égalité entre hommes et femmes, y compris en santé et plus particulièrement dans la Recherche, une priorité!
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