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Marie Cresp explique le droit aux enfants et booste les petites filles!


Cette interview c'est une plongée dans l'emporwerment féminin, avec l'éducation et la connaissance pour brassards. Alors laissez-vous emporter dans la chaleur de ces flots... Bonne baignade!





Mathilde Jean-Alphonse: Marie Cresp, vous êtes maitresse de conférences en droit privé à l'Université Bordeaux Montaigne. Vous enseignez également le droit des associations à de jeunes adultes se formant au métier d'animateur socio-culturel. Pourquoi choisir de prendre la plume pour un public d'enfants?




Marie Cresp: Précisément pour ces raisons! En partie en tout cas. C'est effectivement grâce aux spécificités de mon poste d'enseignante à des non-juristes, futurs animateurs socio-culturels, que j'ai eu l'envie d'écrire un livre expliquant le droit aux enfants. Le défi d'expliciter ce qu'est le droit (à quoi il sert, comment il fonctionne, quels sont ses bénéfices malgré ses défaillances ou limites etc.), de le faire de manière intéressante, amusante, en impliquant activement les étudiants. c'est tout cela qui m'a donné envie de me lancer dans cette aventure. A mes débuts à cette fonction, lorsque j'avais encore beaucoup à apprendre en termes de pédagogie, j'imaginais que ces jeunes adultes -pas toujours très motivés à recevoir de tels cours- étaient des enfants. Parce que ces étudiants non-juristes ont au fond, le même rapport au droit qu'un enfant qui découvre la vie: vierges de toute connaissance ou alors quelques unes éparses. Ils sont aussi souvent traversés par bien de très nombreuses interrogations et animés d'une soif de comprendre les choses. Je ressentais également en eux un grand besoin de saisir les implications et enjeux de chaque sujet traité sous l'angle du droit. Afin de répondre à cette nécessité, j'essayais de prendre des exemples simples mais percutants. Comme on le fait avec des enfants. En tout cas, comme je le fais avec les miens. Ce faisant, j'ai réalisé qu'il n'existait pas d'ouvrages destinés au jeune public définissant le droit en tant que système. Je revois d'ailleurs encore le cours durant lequel j'ai pris conscience de cela! J'en étais estomaquée. Je n'en revenais pas et en revenais encore moins de ne pas l'avoir remarqué plutôt. Mon poste a donc été un élément déterminant dans l'envie de rédiger ces livres. Mais il n'a pas été le seul... Il y a eu d'autres facteurs. Parmi ceux-ci, mes enfants qui grandissaient et me demandaient ce que je faisais comme métier. Je leur disais "maîtresse pour les grands en droit". "Hein? Mais c'est quoi le droit?"" me répondaient-ils. C'est là, avec eux, que j'ai été en situation concrète d'expliquer le droit aux enfants. C'est aussi le cadre de cette vie personnelle qui m'a donné l'élan pour partager cette matière aux autres enfants, à tous ceux qui n'ont pas la chance (!) d'avoir des parents juristes. Pour que le droit ne relève pas uniquement du capital social de ceux qui, au moins culturellement, y sont déjà sensibilisés. Pour que cette méconnaissance ne soit plus un chaînon d'inégalité. J'ai la puissante conviction, que la montée de la colère sociale, des injustices, de la violence s'implante fort logiquement dans la méconnaissance de ce qu'est le droit. Une ignorance qui ne peut que nourrir l'aigreur née d'un sentiment d'inégalité. On ne peut pas jouer équitablement au même jeu si tous les participants n'en connaissent pas les règles ou si certains n'ont même pas conscience de leur existence ou logique.

Je suis une chalengeuse, passionnée et têtue. Je bénéficie d'une force de volonté assez solide pour réaliser ce qui me semble bon. Et sensibiliser les enfants à la connaissance du droit fait partie de ce qui me semble être une bonne chose. J'ai donc relevé ce défi et réalisé mon projet.


MJA: Comment se construisent vos albums?




MC: Trouver la meilleure construction et composition de ces albums a fait partie du défi. Pour y parvenir, il a fallu du travail, de la patience, de la persévérance, de l'imagination, des conseils, des tâtonnements et du temps. Grâce à tout cela, je crois avoir trouvé "une bonne formule". Au moins un format répondant aux différents impératifs de sensibilisation des enfants à un sujet technique, parfois aride.

J'ai tout d'abord choisi d'organiser le livre sous forme de questions. Le nombre de celles-ci (onze par album) a été préféré pour qu'il y ait suffisamment de contenu sans toutefois noyer l'enfant. A ces interrogations, j'ai apposé des éléments de réponse généraux. Cela afin que les jeunes lecteurs aient une vision claire des connaissances et enjeux principaux pour chacune des thématiques abordées. J'ai estimé opportun de faire appel à l'imaginaire et à l'inconscient enfantin en entourant ces éléments de réponse d'une grande illustration imagée, onirique, poétique, esthétique, afin que toutes les capacités cognitives du petit ou de la petite soient sollicitées. En outre, il m'était indispensable de créer un "beau" livre, de l'illustrer avec de "beaux" dessins. Je voulais que ces albums soient des ouvrages que l'on garde, que l'on ait envie de les avoir dans sa bibliothèque. Après chaque double pages d'éléments de réponse généraux, j'ai introduit un second niveau d'approfondissement. Cette fois, par de petites BD restituant des situations concrètes qui parlent aux enfants. Pour donner une unité à l'ensemble, deux personnages guident le petit lecteur au travers de chaque album. Et puis, parce que quand j'explique le droit à mes étudiants, je leur dis que pour "voir" le droit, c'est-à-dire le comprendre, l'identifier, il faut mettre ses petites lunettes de juriste, j'ai imaginé un jeu offrant aux moments de lecture une dimension ludique, sans rien renier de la pédagogie. Ce petit amusement consiste à chercher un monstre représentant le droit. Un personnage à l'air gentil mais qui fait un peu peur tout de même. Pour le retrouver,, l'enfant chausse une lunette glissée dans le livre, que j'ai appelée "lawrgnon". Un jeu de mot entre "lorgnon" (monocle) et "law" qui, en anglais, signifie "droit". Enfin, il y a à la fin de l'ouvrage un petit lexique donnant une définition simple mais précise des mots les plus complexes.


MJA: Vos petits lecteurs dessineront le monde de demain. La transmission par des notions fondamentales de droit est-elle un biais permettant de diriger leurs regards vers les sujets qu'il sera nécessaire de défendre à l'avenir?


MC: En partie. En tout cas, plus pour le deuxième album que pour le premier. Pour le premier en effet, toute mon attention s'est concentrée sur le fait de réussir à dénicher des sujets qui ne soient pas trop "lourds" émotionnellement tout en étant justes. Par "justes" j'entends des sujets qui traduisent le droit dans sa réalité, avec ses limites et imperfections. Eveiller l'esprit critique, donner des éléments de réponse, trouver des exemples représentatifs, amusants, justes, telles ont été mes préoccupations pour le premier volume. En revanche, la réalisation du second a été l'occasion d'une approche différente. Les thèmes traités y sont plus techniques. Un choix me permettant de mêler adroitement technicité et actualité pour soulever débats et discussions. Un excellent moyen d'éprouver l'utilité et l'intérêt concret de la connaissance technique du droit mais aussi, de suggérer l'idée que cette matière peut être un levier de changement. Le droit est construit par les êtres humains. On peut le changer. Il change d'ailleurs tous les jours. La question est de savoir: dans quelle direction souhaite-t-on-le faire évoluer?


MJA: Certaines écoles proposent des ateliers pour philosopher dès la maternelle. Un tel modèle pourrait-il être applicable -et même souhaitable- au droit?


MC: Des ateliers pour "juridiciser" ou "légiférer" à l'école ou dans les centres d'animation, mais oui! Je ne pense pas que cela soit opportun avant l'école primaire car le droit est quand même une réalité abstraite. A partir de sept ou huit ans, je suis convaincue que ce serait très positif. Il y a au programme de l'école primaire des Enseignements civiques et moraux (EMC). Toutefois, ces cours reposent, il me semble, sur une confusion ou à tout le moins une imprécision entre droit, moral et politique. Or, ce flou me parait anti-pédagogique. Au contraire, je crois que pour comprendre les choses au plus juste, il est nécessaire de différencier et d'identifier le ou les registres sur lesquelles ces élément se situent afin, notamment, de comprendre les enjeux du sujet en cause. Il conviendrait, de discerner, parmi ce que l'on enseigne aux enfants, ce qui relève de la morale (c'est bien, pas bien...), ce qui tient de la citoyenneté (appartenir à un pays, participer ou contribuer à la construction de ce pays), ce qui appartient au droit (les règles qui prévoient les dispositions), cela afin de permettre aux jeunes filles et garçons de distinguer les points communs, différences et enjeux de chacune de ces trois dimensions. Il est possible d'éduquer les enfants au droit. L'enfance est par définition l'âge de l'apprentissage du vivre-ensemble. Ces petits livres du "droit expliqué aux enfants" permettront peut-être de commencer à faire bouger les choses. A Bordeaux, par exemple, le centre d'animation Argonne/ Nansouty/ Saint-Genès et son animateur Benjamin Pessete a souhaité monter un projet autour du volume un. Ainsi, pendant plusieurs semaines, les enfants de CM1 et CM2 de l'école André Meunier vont, sur le temps périscolaire, participer à des ateliers créatifs pour se familiariser avec les sujets abordés dans le livre. J'ai hâte de voir cette entreprise se concrétiser!


MJA: Gratt'os Fem est avant tout, mais non exclusivement, un média exigeant dont l'information est dirigée vers les jeunes filles et femmes. Votre projet s'adresse aux enfants et donc nommément, aux petites filles. Comment la connaissance du droit peut servir leur construction?


MC: La connaissance du droit peut aider les petites filles à se construire en se sachant égales aux petits garçons, bien entendu. Parce que c'est ce que dit et défend le droit français aujourd'hui! Ce message est bien évidemment, celui qu'il est indispensable de faire passer. Ce savoir permet aussi de saisir comment et pourquoi, alors que les filles sont l'égal des garçons, des inégalités persistent. Est-ce parce qu'il y a des défaillances dans le fonctionnement des règles du droit? Ou bien est-ce qu'une meilleure égalité entre les hommes et les femmes est en-dehors du pouvoir du droit? Cette compréhension peut ainsi, et par conséquent, contribuer à offrir à toutes les petites filles la conscience de leur pouvoir d'action. Dès lors, si et quand les règles qui défendent l'égalité des genres ne sont pas respectées, elles sont alors en position de refuser une assignation à la passivité. Nous pouvons agir. De multiples façons et sur de nombreux plans. Dans le volume deux, j'ai pris l'exemple de la taxe rose. D'ailleurs, je reconnais que choisir ce sujet et réussir à l'insérer dans un livre pour enfant -un livre qui détaille le système juridique qui plus est!- a été pour moi, une petite satisfaction. Mais revenons à ce phénomène de taxe rose qui permet d'illustrer les limites du droit dans son rapport aux comportements humains, aux choix politiques et aux enjeux économiques et ce, entre libre arbitre et déterminismes sociaux. Les objets genrés et orientés sur un plan marketing pour séduire des consommatrices sont vendus plus chers qu'un objet strictement équivalent sur le fond mais non genré ou genré masculin sur l'emballage. Est-ce que cela constitue une discrimination au sens juridique? Et bien non, pas du point de vue de la technique car rien n'empêche, en théorie, une petite fille d'acheter une trottinette bleue avec des dessins de spiderman plutôt qu'une trottinette rose avec Barbie. Ici, l'action du droit ne serait pas impossible, mais nécessiterait une volonté politique de trouver ou inventer les moyens juridiques appropriés pour lutter contre cette pratique. Toutefois, que le droit soit ou non la meilleure réponse pour éradiquer les comportements sexistes, pouvoir identifier ce qu'il est, ce qu'il fait, ce qu'il pourrait faire, ce qu'il ne peut pas ou ne pourrait pas faire efficacement, sert à mon sens pleinement la construction d'une personne et, à fortiori, des femmes, quel que soit leur âge!


MJA: Il semble y avoir un déséquilibre de traitement entre les sciences dites "dures" et le droit. La valorisation des femmes scientifiques se fait de plus en plus importante, ce qui est formidable! Elle fait ainsi l'objet de bon nombre d'initiatives visant à inciter les jeunes filles à intégrer des cursus perçus, aujourd'hui encore, comme "masculins". Les filières du droit et de la justice ne semblent pas bénéficier de ce souffle. Pourtant, à quelques exceptions près, les modèles de grandes figures du barreau souvent érigées et citées sont des hommes. La description que je fais de la situation est-elle erronée?


MC: Effectivement, je ne crois pas qu'il y ait de mouvement fort pour valoriser les chercheuses en droit. Mais je ne suis pas certaine non plus qu'il y ait une valorisation de la recherche en droit, que cela soit au bénéfice des hommes ou des femmes. Ce domaine de recherche reste, selon moi, assez méconnu du grand public et ne fait pas l'objet d'une politique publique de médiatisation. Un tel mouvement ne semble pas exister au sein des sciences humaines et sociales en général. D'un point de vue quantitatif, la profession d'enseignant-chercheur en droit est globalement homogène. Il y a à peu près autant de femmes que d'hommes. Pour ce qui est des grades ou des responsabilités, je n'ai pas de connaissances précises sur les statistiques, mais je sais que des réformes visant à une plus grande parité au sein des instances dirigeantes des universités ou des comités de sélection ont été adoptées. Au-delà d'un mouvement national, je pense que vivent des différences entre les universités. Certaines sont plus ou moins sensibles à ces questions. En conséquence de quoi, elles s'imposent une parité plus exigeante que celle à laquelle la loi oblige. Il y a aussi toute la question de la représentation, du récit de la place des femmes au sein des universités. A l'université de Bordeaux, dans les locaux de la faculté de droit, un des amphitéâtres a été baptisé il y a quelques années du nom de Manon Cormier. Une femme bordelaise, avocate, écrivaine et résistante, morte. en 1945 à quarante-neuf ans à peine. Par ailleurs, il y a aussi, au sein des enseignants-chercheurs, les mêmes discussions que dans la société, et notamment, concernant la féminisation des noms communs. Une femme doit-elle dire qu'elle est "maitresse de conférences" ou "maitre de conférences"? Personnellement, j'ai fait le choix il y a quelques années de féminiser mon titre. Cela s'est fait assez naturellement. Toutefois, mon poste n'est pas à la fac de droit, mais à l'IUT Carrières sociales de l'Université Bordeaux Montaigne (faculté de lettres) où l'écriture inclusive est généralisée depuis longtemps.


MJA:lLa question du genre, et avec elle le refus d'être limité.e dans ses ambitions, s'invite de plus en plus tôt dans les cours de récréation. La formation à la matière juridique prétend t-elle à être un outil utile pour dépasser, confronter et abolir les stéréotypes?


MC: Je ne sais pas si la formation juridique prétend être un outil pour dépasser, confronter et abolir les stéréotypes. A titre personnel, mon goût pour le droit est lié à une conscience de mon égalité profonde et réelle avec l'être humain de sexe masculin. La formation juridique peut donc se vivre ainsi. Je pense aussi qu'elle est présentée et défendue ainsi par certains chercheurs et juristes. Les études sur le genre auprès des chercheurs en droit et au sein des enseignements juridiques se sont beaucoup développées. A l'échelle des cours de récréation, je suis intimement convaincue que la sensibilisation au droit est un vecteur dans la lutte contre les stéréotypes de genre. Les enfants sont très sensibles à ces questions, à ce qui est juste ou non. Et ils sont nombreux à avoir intégré qu'il n'est pas juste qu'une fille soit exclue du jeu ou moquée parce que fille. L'égalité en droit est précisément là pour lutter contre des rapports sociaux, physiques, intellectuels, psychologiques marqués par la domination. En ce sens, un droit qui défend l'égalité en droit et de droits entre les hommes et les femmes est donc, par définition, un outil pour dépasser, confronter et abolir les stéréotypes de genre.


MJA: Très tôt dans leur vie, plus encore depuis l'avènement des réseaux sociaux et suite aux différents confinements, les adolescentes se trouvent confrontées à des problématiques touchant à l'estime d'elles-mêmes. Le psychiatre Christophe André a dit "Lorsque j'ai une bonne estime de moi, je suis satisfait de mes qualités, mais cela ne m'intéresse pas de dominer, je respecte les autres car je sais aussi ce que je leur dois. Une personne dotée d'une bonne estime d'elle-même est humble, dans le sens où elle ne se veut pas supérieure aux autres mais elle ne se sent pas pour autant inférieure". Cela m'a rappelé cette formule consacrée dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Alors finalement, le droit concourt-il à la liberté et à l'estime de soi?


MC: Je suis fan de Christophe André! Ceci étant, on peut dire que le droit, lorsqu'il est démocratique tout du moins, concourt à la liberté. Je pense qu'il serait difficile de dire le contraire. Mais les choses ne sont pas toujours si simples. Certaines limitations de nos libertés sont d'ailleurs des garanties d'autres libertés. C'est ce qui rejoint la citation que vous rappelez et qui fait écho à l'adage "La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". La protection ou la garantie de la liberté implique aussi de défendre un certain ordre, une certaine sécurité et, pour cela, il est nécessaire de cantonner certaines libertés. Toute la question est alors de savoir jusqu'à quel point pousser l'atteinte pour assurer l'ordre. Il n'est pas forcément facile de trouver le "bon" équilibre. Le sujet suscite de grandes divergences d'opinion. Quant à dire que le droit concourt à l'estime de soi, la question me parait compliquée. Me concernant, le droit m'a permis de renforcer mon estime personnelle. Et je souscris à l'idée que connaître le droit et participer au fonctionnement d'un droit démocratique contribue à cela. Pourtant, je vois bien que la mise en oeuvre du droit peut produire l'effet inverse. Je constate aussi que les règles de droit peuvent briser des personnes. Savoir si le droit participe à l'estime et/ou au développement personnel ne se pose pas véritablement! En tout cas, pas expressément, pas directement. Il n'existe pas de règle de droit qui proclame l'objectif de chacun de se sentir bien dans sa peau! Mon professeur de droit, qui était de la vielle école, disait que le droit ne servait pas à faire une thérapie ou à aider psychologiquement les gens. Je pense que les choses sont plus nuancées aujourd'hui. Pour autant, nous n'avons pas explicitement et techniquement assigné au droit cet objectif. Le droit vise d'abord à organiser une vie sociale. Toutefois, il est clair qu'un droit qui permet de construire des rapports sociaux équilibrés est un vecteur indispensable de l'estime de soi et donc, la liberté vraie. Difficile de construire une société apaisée sans que chacun ait une estime de soi suffisante. Or, à mon sens, le droit y participe. En revanche, je suis également convaincue que le droit ne peut pas tout. Des choses, des pans. de vie ne peuvent être saisis, protégés ou même façonnés. Peut-être que l'estime de soi en fait partie. Votre question est vraiment très intéressante!


MJA: A titre personnel et en tant que femme, que vous a apporté la maitrise et la pratique du droit?


MC: Dans mon parcours, la maitrise du droit m'a permis d'être plus certaine de mes droits, de mon égalité par rapport aux hommes. Je n'ai pas été éduquée dans une famille où les idées sexistes prospéraient. Au contraire, il a toujours été évident que ma soeur et moi pouvions faire des études, faire carrière etc. sans jamais, que le fait que je sois une fille soit un sujet. Mais je suis de la génération des années 80. Je me situe donc avant metoo, avant la libéralisation de nombreuses paroles. Je suis d'une génération qui n'avait pas totalement pris conscience des stéréotypes sexistes qui demeuraient latents, inconscients et qui prospéraient au point que nous les avions intégrés et que nous nous les auto-imposions, en partie du moins. Mes études en droit et mon parcours de maitresse de conférences m'ont permis de prendre conscience de ces "résidus", notamment en analysant les décalages entre une règle de droit qui affirme l'égalité entre hommes et femmes et une pratique du droit et réalité sociologique un peu moins égales. Mon cheminement a donc renforcé mon féminisme ou mon humanisme. Car en réalité, je pense qu'être féministe c'est être humaniste et réciproquement. Mieux comprendre le monde, avoir les codes pour traduire ce qui, pour partie tout au moins, nous oblige, ce qui nous protège, ce qui nous oriente, ce qui nous interdit m'a apporté une grande sérénité et une plus grande confiance en moi. Et à la fois, déceler la fragilité d'un droit démocratique est aussi parfois source d'inquiétude pour moi. J'essaye de me persuader que c'est peut-être en connaissant les risques qu'on peut agir au mieux pour éviter leur réalisation. En attendant, rien n'est perdu. Tout est à construire. L'édification d'un droit plus juste, plus humaniste, quel beau défi à relever!


MJA::Des femmes sources d'inspiration tout au long de votre parcours?


MC: C'est fou, j'ai beaucoup pensé à votre question. Et aussi incroyable que cela puisse paraitre, je n'en trouve pas véritablement. Alors soit j'ai effacé ces femmes inspirantes de ma mémoire, soit je ne les ai pas remarquées, soit je n'en ai pas croisé. Je suis pourtant une chalengeuse. J'aime les défis, m'inspirer des gens que j'admire et qui me donne envie d'avancer dans le bon sens, de dépasser mes limites. Des femmes que j'ai admirées et qui m'ont alloué, probablement sans en avoir conscience, cette énergie de vie, j'en ai effectivement rencontré dans ma vie personnelle. Mais dans mon parcours professionnel, je sèche. C'est fou, non?


MJA: Avant de nous quitter auriez-vous trois livres, films ou oeuvres à nous conseiller?





Un livre: Le temps où nous chantions de Richard Powers. Un livre que m'a offert mon compagnon. Un livre qui m'a fait grandir et m'a marqué. C'est l'histoire d'un couple qui défie toutes les statistiques, tous les stéréotypes, toutes les cases: un juif et une noire américains passionnés de musique s'aiment, se marient, ont des enfants. Le livre raconte leur histoire en interrogeant sans cesse la question de l'identité. Il est à mes yeux, un livre indispensable pour penser l'être humain libre, non assigné à une case.


Un film: Nous trois ou rien, un film français réalisé par Kheiron et rangé dans la catégorie comédie. Je dirais pour ma part, comédie dramatique. Le film retrace l'histoire vraie des parents de Kheiron qui vivaient libres et heureux dans l'Iran d'avant la révolution. J'ai regardé ce film lorsque j'attendais mon troisième et il m'a profondément marqué. Tout comme la série "La servante écarlante" que j'ai regardé à la même époque. Nous trois ou rien est un film magnifique où la lumière, l'amour, l'intégrité, le courage, l'humour ne plient jamais face à l'obscurantisme quitte à payer le prix ultime. Il est encore enregistré sur ma box!




Une BD: La naissance de Lucile Gomez. J'ai découvert cette BD quand j'attendais mon quatrième enfant. Au début, je ne pensais pas ni vouloir, ni pouvoir accoucher à la maison. Je souhaitais être suivie autrement pour cette grossesse, et j'ai eu la chance d'être suivie par une sage-femme incroyable, Isabelle Députier. Et plus j'ai tiré ce petit fil pour comprendre comment fonctionne l'accouchement, pourquoi on accouche de telle façon à l'hôpital, etc, plus j'ai senti une sorte de consternation teintée de colère monter en moi. J'ai réalisé que la société patriarcale nous avait acculturée de nous-mêmes, de notre-pouvoir, de notre corps de femme. Se faire confiance, être femme c'est être puissante!! Attention, cela ne signifie pas.



que les hommes ne sont pas puissants, ni qu'il y ait lieu de les dominer...


Je me permets de rajouter l'opéra "Carmen case". Un opéra moderne qui écrit la suite de l'Opéra Carmen, qui est quand même un féminicide, en faisant le procès de Don. L'opéra s'est produit une seule fois à Bordeaux en janvier 2024. Un travail artistique incroyable d'inventivité. Une écriture très juste, des personnages profonds, une mise en scène esthétique et inventive. Et des articles du code pénal chantés à la façon d'un opéra, une prouesse incroyablement réussie!





Pour découvrir l'univers de Marie Cresp rendez-vous sur sa page instagram.

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