#Metoo industrie par Mathieu Launay_ Interview
- Mathilde Jean-Alphonse
- 26 août 2024
- 7 min de lecture
Il fut un temps, pas si lointain, où les femmes réclamaient une plus grande liberté sexuelle. Les cartes ont depuis été rabattues par un simple hastag. #Metoo restera l'emblème du combat féministe de toute une génération. Un signe, cinq lettres pour que la peur change, enfin, de camp. Sept ans plus tard, certaines femmes contestent la légitimité des hommes à joindre leur voix au cortège. "Que savent-ils de nos douleurs, de nos combats, de nos souffrances et de nos peurs?" s'écrient-elles. Mon invité pour cette interview consacrée au #metooindustrie prouve que non seulement, les mâles sont de plus en plus nombreux à se sentir concernés par cette revendication d'égalité, mais qu'en plus, leur voix et intelligence sont nécessaires à la bataille. Dans un discours simple, Mathieu Launay dissèque, explique et dénonce la violence, les crimes, le harcèlement qui frappent dans le milieu, volontairement rendu opaque, de l'industrie. Une parole aussi rare que précieuse que, je l'espère, vous prendrez plaisir et intérêt à découvrir.

Mathilde Jean-Alphonse: #metooindustrie est avant tout pour le public un compte Instagram anonyme. Qui est celui qui se dissimule derrière ces posts dénonciateurs?
Mathieu Launay: Je suis un homme hétéro cis blanc âgé de 28 ans et travaillant dans le secteur industriel aéronautique. Je suis originaire de Normandie, d’une famille de classe moyenne. Mes parents sont retraités de l’Education Nationale. J’essaye de m’investir dans le social et dans la protection de l’environnement. Je possède un DUT Mesures Physiques, une licence professionnelle génie de l’environnement et du Développement Durable et un Bachelor Responsable Qualité Sécurité Environnement. Je suis également bénévole dans une association de protection des chauves-souris. J’ai le profil d’une personne ayant un niveau de vie privilégié, ce qui me permet de me consacrer à la cause du MetooIndustrie sans avoir une énorme charge mentale comme cela a pu être le cas pour les personnes victimes ayant lancées et participées au mouvement Metoo.
MJA: Quand et pourquoi Mathieu Launay, vous êtes-vous attelé à la création de ce mouvement #metooindustrie?
ML: J’ai créé le mouvement Metoo au moment où Madame Judith Godrèche a pris la parole concernant son agresseur. J’ai commencé à chercher des articles de presse traitant des sujets d’agressions, de harcèlement dans le secteur secondaire de l’industrie et me suis rendu compte qu’il n’y avait pratiquement aucun article y faisant référence. De mon côté, j’avais entendu parler de trois agresseurs dans une entreprise au sein de laquelle j’avais exercé. Ces derniers ont été licencié pour des faits sensibles. Pourtant, rien n'est paru dans la presse concernant ces affaires.
De plus, le fait que la population de travailleurs soit essentiellement masculine et qu’il y ait des strates hiérarchiques complexes pouvant conduire à des abus de pouvoir il m'a été aisé d'en tirer la conclusion qu’il y avait forcément des victimes. Je constate également au quotidien dans mon travail une totale impunité concernant les discours racistes, sexistes… J’entends au quotidien des propos problématiques… J’ai donc voulu partir à la recherche de ces victimes en faisant des appels à témoignages plutôt que d’attendre qu’elles se forcent à sortir de l’ombre seules. Je sais qu’elles existent et je souhaite leur donner la parole et créer une communauté pour les soutenir.
MJA: Quelles sont les formes de harcèlement le plus souvent observables dans le secteur industriel?
ML: En première place il y a le sexisme. Il ne fait pas bon d’être une femme dans le secteur industriel.
Leurs compétences sont remises en cause du fait de leur genre et de leur sexe, elles subissent des blagues graveleuses de la part de leur collègues, elles sont épiées par les hommes lorsqu’elles passent devant eux… La liste est longue. Le racisme est lui aussi présent… Cela se reflète dans les sondages lorsque l’on voit que plus de 50% des ouvriers votent à l’extrême droite d’après l’institut IPSOS et que la part de vote pour le Rassemblement National augmente chez les personnes cadres.
Mais de manière générale, toute différence est en soit un prétexte pour subir de la violence ordinaire et du harcèlement : origines, genres, masse corporelle, style vestimentaire etc …
MJA: Existe t-il une différence en fonction du genre dans les formes des pressions exercées sur les victimes?
ML: Le genre féminin étant largement minoritaire (un rapport de 20% de femmes pour 80% d’hommes), elles subissent majoritairement la pression. Pour autant les hommes restent cruels entre eux et j’ai déjà reçu des témoignages d’hommes victimes.
MJA: Pourquoi le #metooindustrie peine à émerger dans le débat public?

ML: Comme on a pu me le dire « Les médias se moquent de l’ouvrière qui s’est faite violer, cela ne fait pas vendre ». Il y a un désintérêt total pour ce qu’il se passe dans le secteur de l’industrie. Il est vu essentiellement comme un bassin d’emplois et on en parle souvent que pour cela.
Le fait que la plupart des médias soient tenus aujourd’hui par de riches hommes blancs industriels comme Monsieur Bolloré permet de maintenir l’Omerta qui y règne. Cela ferait scandales si on apprenait ce qu’il se passe réellement dans les usines et cela serait mauvais pour leur production et leurs chiffres d’affaires. Ce que je constate aujourd’hui c’est qu’il ne faut pas toucher à l’industrie, il ne faut pas en parler. Du côté des politiques c’est pareil. Les seuls fois ou l’industrie est mentionnée c’est pour aborder le pouvoir d’achats des ouvriers ou pour dénoncer un plan social abusif. Pour un secteur qui regroupe plus de 3 millions de travailleurs et qui est un nerf économique de la France, cela reste léger il me semble.
MJA: Comment ce phénomène qui semble imprégné le paysage industriel est-il géré en interne?
ML: Très mal. Il y a beaucoup de Social Washing qui est fait de la part des entreprises sur les sujets de harcèlement et des agressions. Les sociétés sont très fortes en communication mais, quand il s’agit de gérer des cas concrets là cela devient opaque. Les agresseurs sont simplement changés de service. On ne sait pas trop quel suivi est accordé pour les victimes… Pour ma part, j’ai eu un aperçu de la manière dont est réalisée la protection des victimes mais mon devoir de réserve et ma clause de confidentialité m’empêche d’en dire plus au risque d’être poursuivi…
Ce sont en partie ces mêmes clauses de confidentialité qui renforcent l’opacité autour des agressions dans le secteur industriel. Mais lorsqu'on constate que la Justice Française elle-même n’arrive pas à gérer ce phénomène, on ne peut pas s’attendre à ce que des entreprises qui sont là pour faire de l’argent aient un système de gestion des cas de harcèlement et d’agressions efficace.
L’industrie n’est pas là pour être humaniste, elle est là pour créer de la richesse.
MJA: Les personnes en charge des ressources humaines sont-elles suffisamment outillées pour faire face à ces situations?
ML: Je suppose que cela doit dépendre des entreprises. Toutefois, je pense qu’il y a un gros travail de formation à faire pour une meilleure prise en compte des victimes en interne.
MJA: La gestion de ces situations délicates mériterait-elle la création d'un nouveau pôle capable d'instruire, prévenir et accompagner les employés au sein des entreprises?

ML: Sans doute mais il faudrait aller encore plus loin. L’un des problèmes aujourd’hui c’est que tout demeure en interne dans les entreprises. Rien ne sort. Ce qui à pour conséquence qu'en cas de preuves effectives d'agression dans une entreprise de la part d'un homme, celui-ci sera au mieux licencié. Il échappera toutefois à la justice car l’entreprise se refusera à le poursuivre.
Il faut que les travailleurs et travailleuses puissent avoir des interlocuteurs externes à leur entreprise pour qu’une enquête impartiale soit réellement menée et que les agresseurs rendent des comptes aux victimes. Mais pour cela, je pense qu’il faut lever les clauses de confidentialité et le devoir de fidélité que nous avons envers notre employeur. Nous devons pouvoir parler sans avoir une épée de Damoclès au dessus de notre tête qui menace notre carrière professionnelle, notre future employabilité ou réputation auprès de nos collègues…
MJA: A ce jour, la masse salariale industrielle bénéficie t-elle de relais suffisamment compétents, organisés et puissants pour porter au grand jour sa parole?(syn
ML: Je pense que les relais ayant parlé du mouvement Metoo peuvent déjà se joindre à la démarche. (médias, réseaux sociaux…) Ensuite, les syndicats peuvent être un levier. Ils pourraient aussi diffuser des appels à témoignages dans les entreprises pour essayer de libérer la parole. Le metooindustrie a pour but d’aller chercher les victimes, les mettre en lien, les soutenir. Tout les relais sont donc bons pour que l’information leur arrive. Aujourd’hui, il est très dur de confronter les usines. Nous avons une population qui n’est pas forcément très à l’aise avec les réseaux sociaux et l’ère du tout numérique. Le bouche à oreilles est donc une arme pour diffuser le Metooindustrie. Je pense que nous sommes nombreux à connaître des travailleurs et des travailleuses du secteur industriel (énergie, automobile, aéronautique, agroalimentaire, bâtiment). Le message pourrait donc s'éventer rapidement dans une usine lorsqu’une personne fait rentrer l’information dans ses murs. C’est en cela qu’il est important d’en parler à ses proches.
MJA: Une situation emblématique du #metooindustrie?
ML: Ma rencontre et mes échanges avec Madame Muriel Reus qui a participé à la création de MetooMedia et qui m’a donné la parole alors que je n’ai pour le moment aucune notoriété.
J’ai pu grâce à elle diffuser mon message dans l’émission de radio « La force de l’engagement » sur Sud Radio. Hélas la diffusion est tombée pendant le second tour des élections européennes et donc je suis passé inaperçu.
MJA: Trois oeuvres littéraires ou cinématographiques à nous conseiller?
ML:Le dernier des siens de Sybille Grimbert. Il traite de l'extinction d'une espèce (le Grand Pingouin) et le lien qui peut se tisser entre un humain et un animal non humain.
Farralon Islands de Abby Geni. Il aborde le traumatisme des VSS et notre vulnérabilité face à la nature sauvage.
La sorcière de Sealsea de Phillipa Gregory. L'intrigue tourne autour du conflit entre la couronne d'Angleterre et les Jacobites, la survie d'une femme marginale et la lâcheté des hommes.
Je ne lis désormais plus que des livres écrits par des femmes ou des personnes issues des "minorités".
Si vous souhaitez vous informer et rejoindre le mouvement, un seul point de chute: le compte Instagram #metooindustrieute.
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