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De HLM Pussy au #metoo, Nora El Hourch se livre

Nora El Hourch a du soleil dans la voix et de l’insolence dans le discours. Fascinante et captivante elle l’est par son humilité. Réalisatrice certes, mais discrète et pudique. Nora se raconte moins par sa fonction et ses réussites, que par ses tâtonnements, errements et chemins de traverse. L’énergique évite ainsi l’écueil du « je suis » pour la voie plus constructive du « je fais ». Et c’est dans cet ébranlement, ce fourmillement d’idées, de projets et de réalisations que s’apprécient la force de sa personnalité et la pertinence de son travail. C’est au fil d’une interview comme je les aime -c’est à dire sans fard, vivante et pleine de joie-  que je vous invite à découvrir la femme qui se cache derrière la réalisation du film HLM Pussy.

Mathilde Jean-Alphonse: Nora El Hourch, trois mots pour te décrire.


Nora El Hourch: Sincère, déterminée, bosseuse. Je me rends compte que ce sont des adjectifs qui s’appliquent surtout à ma personnalité dans le travail. D’ailleurs, j’attends la même chose de ceux avec qui je collabore.


MJA:En regardant certaines interviews accordées précédemment, j’ai noté que la question de ta double culture revenait régulièrement. Comment la vis-tu?


NEH: Si je suis le produit d’un milieu, d’une éducation et d’une double culture, je n’aime pas les étiquettes. L’agression, le fait d’être femme et franco-marocaine on m’en parle souvent et parfois très frontalement. J’ai fait un film. Je suis réalisatrice. Pourquoi préciser « franco-marocaine »? C’est très chiant!  Je ne sais pas si ça rend les choses plus compliquées, mais objectivement, je ne coche pas toutes les cases malgré les quotas. Ces étiquettes pèsent sur mon travail lui-même. L’affiche de mon film est sortie avant sa bande-annonce et j’ai dû faire face à une vague de fascisme d’une rare violence à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Je recevais des « Sale bougnole rentre chez toi » à foison! J’ai vu des personnes coller à mon film des zéros sur allociné et l’attaquer par pur racisme. Idem pour l’agression. Parfois, les questions sont très frontales. Sans le moindre souci de ma pudeur quant à mes expériences de vie. 


MJA: Etais-tu prédestinée à faire du cinéma?


NEH: Du tout! Il faut savoir que j’étais une mauvaise élève. Dyslexique de surcroît. Non en fait, c’est plutôt que l’école ne me parlait pas. J’étais toujours sur le fil du redoublement. Je n’avais pas l’envie d’être là. Je subissais littéralement. Par contre, j’ai toujours énormément écrit. De mes six à vingt ans, j’ai passé plus de la moitié de mon temps enfermée dans ma chambre à griffonner. Créer, imaginer, y compris à travers des poèmes. C’était une grande part de mon quotidien. Après mon agression, j’ai connu quatre ou cinq années d’errance. Un arrêt brutal et très spontané dans mon écriture. Reprendre la plume m’a soignée. Le cinéma est ensuite entré dans ma vie. Complètement par hasard d’ailleurs. Une pote voulait monter sa boîte de production. Elle m’a appelée, je me suis lancée. Un court-métrage , Quelques secondes, est né en trois jours. Budget? 3000 euros. 


MJA: Revenons à ton film HLM Pussy. Il t'a fallu des années pour le réaliser. Dix ans c’est long…

Comment as-tu conservé le cap, la foi en ton rêve pendant cette période de latence? 


NEH: J’ai baissé les bras un million de fois! Au début, beaucoup de portes se fermaient. Mais à chaque fois, le désir était trop viscéral. Et puis se décourager, c’est sain. Ça permet de se remettre en question. Le temps passe aussi parce qu’il faut le dire, écrire est un métier de riches! Qui a le temp d’écrire quand il faut gagner sa vie? J’ai dû faire des compromis, des concessions pendant dix ans. Je parlais de détermination tout à l’heure, elle est apparue avec la conviction d’avoir trouvé ce que j’aimais faire. Dans mon métier, tout est au cardio. Il faut de la détermination et même beaucoup pour y arriver! Aujourd’hui, j’en suis heureuse, ma voix compte.


MJA: L’intrigue du film tourne autour d’une scène de baiser forcé. Dans une société qui se plait, voire se complait, dans le sensationnel se « borner » à ce geste est un pari. Comment ce choix a t-il été accueilli? 


NEH: Au départ, mon entourage avait des réticences, des résistances même, mais j’étais sûre de mon axe et de mon choix. Je n’ai donc rien lâché. Aujourd’hui plus que jamais, il sonne juste. Ce baiser, c’est le reflet de la société actuelle. Cette génération qui passe de l’enfance à la vie d’adulte avec ce jargon du MeToo, du consentement. Des questions qui se posent aussi avec un baiser. Ce qui est formidable, c’est que beaucoup d’éducateurs s’appuient sur mon film pour approcher les jeunes. De nombreuses jeunes filles m’écrivent également sur les réseaux pour me livrer leur témoignage, partager avec moi un peu de leur histoire. 


MJA: Cet accueil de la parole de victimes peut être difficile à porter... Comment fais-tu pour ne pas flancher?


NEH: Je la laisse venir. Je lis et je réponds avec simplicité. Je suis trop entière. Je mets de l’affect partout. Je suis obligée de tenir le coup. Maintenant j’ai une image de modèle. Je tiens pour toutes celles que je peux accompagner et aider. 


MJA: Huit femmes sur dix connaissent leur agresseur. C’est le cas de Zineb interprétée par Salma Takaline qui, pendant une partie du film, est emmurée dans sa crainte de parler, de dénoncer. Comment lever cette barrière interne que bien des victimes connaissent?


NEH: Il y a un avant et un après. A partir du moment où tu vas nommer ton agresseur, il faut s’attendre à de l’incompréhension. Il faut aussi le temps de se l’avouer à soi-même. Mon héroïne, Zineb, est dans un déni de survie. Elle se dit: « C’est un ami, il s’est trompé… Il n’a pas voulu. » S’avouer la vérité c’est aussi rentrer dans une vie de victime, mais pas de fatalisme. Etre accompagnée par un professionnel est important. L’accès à des thérapeutes c’est aussi mon combat. Les délais d’attente sont beaucoup trop longs. Et puis il y a le dépôt de plainte… So what? La parole des victimes n’est toujours pas prise au sérieux. Ces démarches ne mènent, en plus, bien souvent nulle part. Néanmoins, c’est important de le faire. Pour soi, pour la reconnaissance. Je le conseille systématiquement aux jeunes filles qui viennent se confier. Je n’ai pas donné de place aux institutions dans mon film parce que c’est trop long et que de plus en plus, cette jeunesse parle avec les réseaux. Mais les tribunaux médiatiques existent aussi parce que quand on est une victime et qu’il n’y a que ça, on l’utilise.


MJA: Djeneba, incarnée par Médina Diarra, campe l’adolescente 2.0 très connectée et qui construit

son image, sa féminité à travers ce prisme que sont les réseaux sociaux. Il y a un moment de bascule très intéressant dans le film qui la conduit à perdre ses artifices, et plus particulièrement sa perruque, lors d’une agression. C’est également celui où on la voit faire place à la sonorité, celui où l’on assiste à une forme de libération de sa personne. L’association des deux est un message? 


NEH: D’abord techniquement, elle n’a plus accès à sa perruque parce qu’il ne lui reste plus rien après l’agression. Mais oui, il y a un travail autour du paraître. J’avais envie de dire qu’il est important de s’affirmer en tant que femme et telle que l’on décide d’être. 


MJA: Amina, portée par Léah Aubert, s’illustre par la force de ses convictions et sa double culture. Penses-tu que cette dernière soit une richesse, voire un trésor, pour le combat féministe?


NEH: Je ne me considère pas comme féministe. On me dit féministe, mais je me considère juste comme une femme qui a vécu des choses de femmes et qui le raconte. 


MJA: Vos héroïnes ont quinze ans. Laquelle des trois étais-tu au même âge? 


NEH: Je me retrouve dans les trois. C’est d’ailleurs un point abordé avec mon co-auteur scénariste qui est également mon fiancé. Pour construire une histoire, il faut qu’elle me parle intimement. C’est pourquoi, je me retrouve dans ces trois jeunes filles. Mais il est certain qu’Amina c’est 70% de ma vie, de moi, de scènes familiales vécues avec mes parents. 


MJA: HLM Pussy traite également de la problématique de la réputation. C’est une arme redoutable dont nombre de jeunes filles sont victimes, parfois avec des conséquences dramatiques. Quelle réponse fais-tu aux adolescentes fragilisées par le harcèlement?


NEH: Ces problèmes de harcèlement, de réputation, d’agressions sont très douloureux pour les adolescentes. Ils peuvent conduire à des tentatives de suicide. Il faut évidemment en parler pour qu’elles puissent être aidées et protégées. Mais dans ma position et lorsque j’écoute, je leur dis: « Tu es dans un tunnel noir, mais il y a une lumière quelque part. Je te promets qu’un jour, tu vas reprendre goût à la vie. »


MJA: Amina fait le pont entre deux mondes. Celui des HLM, de la précarité, de la débrouille et celui des zones pavillonnaires, de l’aisance et des perspectives d’avenir. Selon toi, cette rencontre des opposés ne peut advenir que dans la douleur? 


NEH: Ce qui est certain c’est que le milieu social permet de jouer une carte importante. Dans un milieu social favorable, tu peux tout tenter, tu peux te tromper, tu peux foncer dans la vie parce que tu ne te ramasseras jamais complètement. Tu auras des armes, des outils. On ne peut pas être MeToo quand son quotidien c’est la galère. C’est une rencontre qui peut donc avoir lieu, mais est-ce qu’elle se pérennise? Je ne sais pas…


MJA: Les hommes ont finalement peu de place dans ton film, mais si certains sont amenés à le  visionner qu’aimerais-tu qu’ils en gardent? 


NEH: Certains peuvent se dire qu’ils ont fait des "dingueries" plus jeunes, réaliser qu’ils ne s’en sont pas rendus compte, en prendre enfin conscience et interroger leurs actes. 


MJA: Merci Nora El Hourch! 

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